Mon conjoint me dit souvent que je suis rassembleuse. Ça me fait bien rire. Moi la sauvage, limite misanthrope, et surtout, ô combien timide, serais un vecteur de collectif ? J’exagère ici, mais à peine. Pourtant, je dois à la vérité de dire que depuis que nous sommes installés à Gore, je me suis découvert une fibre communautaire, une facette bien sociable, un côté givré.
Nous nous sommes installés ici pour une raison à la fois banale et exceptionnelle : un lac. C’était le rêve, que nous partagions, de vivre près d’une étendue d’eau paisible qui nous apporterait à coup sûr un gros morceau de bonheur. Nous n’avions pas tout à fait tort, mais un peu quand même. A posteriori, le lac seul n’aurait pas suffi pour que nous bâtissions maison et prenions racine.
Je viens de Québec, pas une grande métropole, mais tout de même une ville. J’ai habité Quito, Moscou, Toronto, un peu Montréal… des endroits où j’aurais peut-être pu, mais où je n’ai pas trouvé ma place dans un groupe citoyen, où je n’ai pas su ou vu comment m’accrocher à une communauté à échelle humaine. C’est peut-être la raison pour laquelle ces lieux ont été de passage.
Depuis que nous sommes arrivés ici, quelque chose s’est opéré. C’est arrivé tout seul, ça allait de soi. On est allé vers les autres et les autres sont venus à nous. Ça a commencé tranquillement avec les voisins entraidant qui nous ont fait nous sentir en sécurité, ancrés. Puis il y a eu la garderie et les longues discussions avec les parents d’où sont nées des amitiés, puis l’association de lacs à remettre sur pied, un projet pour développer un réseau de sentiers qui est passé de l’idéation à la réalité… et sans crier gare, on avait cessé d’être étrangers.
Et là on commence à bâtir, à créer des choses et à participer au tissage de la grande toile de la communauté. À quel moment se fait le point de bascule où on devient vraiment « chez soi », difficile de le dire. Ça coïncide avec le jour où on est fier d’appartenir à cette communauté, où on utilise le gentilé avec affection (gentilé toujours non existant à Gore, par ailleurs), où on prend racine à la fois littéralement (on investit la nature, on plante des arbres pour les enfants…) et métaphoriquement en se sentant une appartenance aux personnes qui ont habité ici avant nous.
Je pense à un voisin, un ami, qui comme nous, était venu vivre son aventure de nature. Souffrant d’un cancer, il a choisi de se faire enterrer dans le cimetière de Gore. C’est ici qu’il souhaitait reposer. Ça m’avait émue et ça m’émeut encore.
On pourrait voir un paradoxe dans cet élan communautaire, puisqu’il y a, dans la municipalité, peu de lieux de rencontre, de même que peu de possibilités de se déplacer autrement qu’en voiture. Et pourtant, la communauté y est bien vivante. Peut-être est-ce justement cet espace des possibles où tout est encore à faire, à bâtir, qui donne à notre petite communauté son souffle pionnier? Appartenir, c’est aussi s’inscrire dans un récit, c’est développer un nouvel imaginaire. Il faut croire que faute d’un café ou d’une piste cyclable, l’imaginaire travaille fort par ici pour unir des gens…
Ou peut-être est-ce quelque chose dans l’eau ou le venin des moustiques ? Quelle que soit la source de ce liant social, il est indéniable qu’il a su opérer, pour nous, à Gore, cet acte magique qui nous a métamorphosés en Goriens, Goriennes, Gorois, Goroises… et fiers de l’être!